L'une des versions
Une jeune demoiselle -fille d'un missionnaire anglais en Allemagne- et un moine novice, tombèrent amoureux. Elle, considérée comme un véritable prodige intellectuel, décida de se convertir au «masculinisme» et de prendre l’habit monastique, c’est-à-dire vivre au couvent près de son bien-aimé. Vêtue comme un jeune garçon, Jeanne fut présentée au principal du couvent qui, ébloui par son intelligence, l’accepta immédiatement. Pour des raisons non spécifiées dans la fiction, peu de temps après, les jeunes amants décidèrent de s’enfuir du couvent. Ils allèrent en Allemagne, puis passèrent en France, en Italie et arrivèrent en Grèce.
La papesse Jeanne
Une décision imprévue
A Athènes, le jeune moine mourut soudainement d’un mal inconnu, comme l’étaient presque tous les maux au 9e siècle. Jeanne, extrêmement abattue par ce malheur, quitta Athènes et décida d'aller à Rome, emportant ses habits monacaux masculins, qu’elle endossa de nouveau dans la capitale papale. A l’époque où Jeanne arriva à Rome, c'était le Pape Léon IV qui gouvernait.
Au cours des deux ou trois premières années de son séjour à Rome, Jeanne enseigna les sciences, attirant l'attention des intellectuels. Par son comportement, comme par son érudition -et toujours représentant son rôle masculin– elle gagna le respect et l'admiration de l’ensemble du clergé romain. L’une des nombreuses versions légendaires conclut que, à la mort de Léon IV (855), Jeanne fut élue Pontife à l'unanimité, sous le nom de Jean VIII.
Pendant les visites du Vatican, dans tous les groupes de touristes, il y a toujours quelqu'un qui, avec un air complice, demande à voix basse au guide « Que savez-vous de la papesse Jeanne ? »
Au milieu du 9e siècle, il y a plus de mille ans, une rumeur commença à se répandre, selon laquelle «le pape Léon IV, mort en l'an 855, eut comme successeur une femme, la Papesse Jeanne».
Plusieurs chroniqueurs médiévaux ont répandu cet évènement et ont su donner vie à ce personnage singulier, d’un profil plus légendaire que mythologique. Mais parmi toutes ces histoires, la mieux élaborée est apparue seulement six siècles plus tard, dans le second volume d'une œuvre très importante publiée à Stockholm en 1772.
Histoire et curiosités
Attractions fatales
Comme c’était souvent le cas à l’époque, le sexe rodait à la cour du pape. Inévitablement ressurgirent chez Jeanne ses passions monacales, et c’est ainsi que le tout nouveau pontife tomba enceinte.
Dans certaines versions de l’histoire, l’enfant mourut au cours de l’accouchement ainsi que sa mère, le supposé pape. Dans d’autres versions (il y en a eu plusieurs) l’enfant mourut mais sa mère survécut et, du fait de sa condition papale, fut excommuniée et enfermée en prison.
Sans preuve, quoi de mieux qu’un orifice
Les chroniqueurs du Moyen-Age, spécialisés dans les commérages de cour -nous n’avons pas beaucoup évolué depuis- assuraient que, après l’incident de la papesse Jeanne (Jean VIII), tous les candidats à l’élection pontificale devaient passer un test pour vérifier leur sexe, avant la consécration papale. Selon l’humour gras des chroniqueurs, on faisait asseoir l’élu sur un trône qui avait un orifice central, et le plus jeune des diacres confirmait au toucher que le candidat n’était pas une candidate. Ensuite il prononçait à voix haute « Mas est », et le clergé répondait en chœur « Deo gratias ».
Cette célèbre chaise destinée à confirmer le sexe du candidat à la charge pontificale, n’est ni plus ni moins qu’une chaise stercoraire (Glos), déjà utilisée dans la Rome antique bien avant la papauté pour évacuer les excréments du corps.
Le trône de marbre, qui se trouve dans le cloître de la Cathédrale Saint-Jean de Latran, pourrait avoir une fonction similaire, mais uniquement pour l’évacuation des urines : des toilettes à utiliser en cas d’extrême urgence pendant les cérémonies.
Chaise stercoraire
(Cloître de Saint-Jean de Latran)
L’athéisme politique envahit le Vatican
Charlemagne ne put (ou ne sut) doter le Saint Empire Romain d’une organisation politique solide et durable. Les menaces qui pesaient sur l’empire étaient très fortes, et avec la mort de l’empereur (814) le pouvoir passa aux mains d’une succession d’incapables qui considéraient le peuple comme un jouet de famille. La dynastie carolingienne montra de grandes faiblesses, mais elle commença à se rétablir peu à peu avec l’élection d’Otton I, à la tête du Saint Empire Romain Germanique (936).
Entretemps, des familles très puissantes de la noblesse romaine s’étaient emparées du Vatican.
Entre 882 et 946 se succédèrent 21 papes, dont les pontificats furent très courts pour certains (2 semaines). On trouva de tout pendant cette période : la famille romaine dont c’était le tour d’exercer le pouvoir et qui distribuait sans compter les soutanes, les pourpres et les tiares papales ; des papes, fils de papes et de cardinaux et vice versa ; un pape qui occupa le trône à l’âge de 21 ans et mourut à l’improviste à 25 ans (c’est le cas de Jean XI, fils des amours du pape Serge III avec sa parente, la très jeune Marozia, âgée de 15 ans).
Siège papal connu comme Chaise stercoraire (Musée du Vatican)
Sa Seigneurie Marozia
La véritable papesse ne fut pas Jeanne
Il est fort possible que cette légende de la « femme pape » ait été basée sur des faits réels qui s'étaient produits à cette période. Il pourrait en effet s’agir de la diabolique et célèbre Marozia (892-937), jeune romaine de la plus vieille aristocratie, fille du sénateur romain Théophilacte et de son épouse Théodora, et femme connue pour son opportunisme et sa beauté extraordinaire.
Marozia avait accédé à toutes les manettes du pouvoir. C’est à elle que durent leur pontificat Léon VI (sept mois), Etienne VII, qui la nomma « Seigneurie des Romains » et la mit à la tête des familles romaines qui dirigaient le trône papal, et enfin son fils Jean XI.
De façon métaphorique, on pourrait dire qu’effectivement, à cette période-là il y a eu une papesse, mais qu'elle ne fut pas pape et n’occupa pas le trône pontifical, même si elle déterminait qui devait y monter. Elle ne s’appelait pas Jeanne, mais Marozia.
De toutes manières, à cette époque se produisirent des faits d’une extrême gravité au Vatican, parmi lesquels on retient surtout « le procès du cadavre », opéré sur la personne (cadavre) du pape Formose. Il est clair que devant un tel acte de véritable barbarie, il est préférable d’enrober le tout avec la charmante histoire d’une femme pape.
Ce fut l’une des périodes où le clergé du Vatican perdit apparemment son pouvoir moral. Mais en réalité ce furent les laïcs qui exercèrent leur propre immoralité au nom de l’Église.
Ceci n’a pas pour but d’exonérer l’Église d’autres erreurs commises, mais pendant ces deux siècles, son nom, ses symboles et ses traditions furent utilisés cruellement à son total détriment.
Marcelo Yrurtia
Martine Ruais